Achille Mbembe - Photo:Chanté Schatz - University of the Witwatersrand
Chanté Schatz - University of the Witwatersrand

Le prix Holberg décerné à un des intellectuels les plus éminents de l’Afrique

Il est annoncé, ce 14 mars 2024 à Bergen, que le prix Holberg pour 2024 est attribué au professeur camerounais Achille Mbembe pour ses recherches fondamentales sur l’histoire et la politique de l’Afrique.

Institué par le parlement norvégien en 2003, le Prix Holberg est un prix international d’un montant de NOK 6 000 000 (environ EUR 525 000) remis annuellement à un chercheur de premier plan en lettres et sciences humaines, en sciences sociales, en sciences juridiques ou en théologie. Le lauréat doit avoir influé de façon décisive sur les recherches internationales dans un des domaines mentionnés.

M. Mbembe, professeur d’histoire et de sciences politiques au Wits Institute for Social and Economic Research, University of the Witwatersrand, Johannesburg, recevra le prix le 6 juin, lors d’une cérémonie qui aura lieu dans l’aula de l’Université de Bergen.

Chercheur pionnier en histoire africaine, postcolonialisme et philosophie politique, il a accentué les rapports qu’il y a entre la problématique de la décolonisation et les questions pressantes du racisme, de la pandémie, de la crise climatique et de l’intelligence artificielle.

Le professeur Mbembe, qui est un des spécialistes les plus novateurs du monde de l’Afrique postcoloniale, a contribué de manière capitale au développement de la réflexion sur le racisme, afin de faire accepter un humanisme prônant l’égalité inconditionnelle de tous les individus.

Tout en étant un des chercheurs du continent africain les plus lus et cités, il est également un acteur politique intervenant avec autorité dans le débat public. Pendant les trois dernières années, il a aussi collaboré avec le président français Emmanuel Macron en vue d’établir une stratégie nouvelle pour l’Afrique.

 

Un combat contre l’oppression

Les premiers travaux du professeur Mbembe ont pour thèmes principaux la violence coloniale, la résistance africaine et les luttes pour l’indépendance. Analysant surtout le pouvoir étatique, il est amené à repenser la notion de « postcolonie ». Ses recherches montrent, entre autres, comment des régimes violents et racistes naissent d’anciens ordres sociaux destructifs.

Les livres d’Achille Mbembe ont été traduits en 17 langues. Parmi ses ouvrages les plus importants, il faut citer De la postcolonie (2000), où il dénonce une série d’idées établies sur l’Afrique postcoloniale. Dans le livre fondamental intitulé Critique de la raison nègre (2013), il montre comment les Noirs ont souvent été regardés comme des animaux plutôt comme des êtres humains, et comment l’idée de « négritude » est devenue un instrument du capitalisme. En même temps, M. Mbembe considère qu’une partie de la critique noire du racisme a elle-même contribué au prolongement de la discrimination raciale.

Dans l’ouvrage intitulé Politiques de l’inimitié (2016), le lauréat discute comment des groupes marginalisés sont contrôlés par des acteurs décidant de leur vie, de leurs souffrances et de leur mort. Il conclut que les
valeurs, droits et libertés démocratiques sont minés par des forces racistes, fascistes et nationalistes croissantes, et qu’un monde plus juste demande une compréhension nouvelle de l’être humain.

 

Il faut admettre l’idée d’une humanité commune

Le professeur Mbembe décrit ainsi les questions cruciales inspirant ses recherches : « Comment pouvons-nous repenser le monde et trouver des façons alternatives de le peupler ? Comment pouvons-nous nourrir une conscience globale prenant en compte que nos vies et nos actes sont entreliés ? Comment peut-on envisager un avenir ouvert dépassant le lien du temps présent avec l’histoire raciale, le colonialisme et la ségrégation ? »

« Ces questions ont été le noyau de mes recherches au cours de toute ma carrière », dit le lauréat. « Derrière elles, il y a une problématique plus vaste encore : comment peut-on réparer, renouveler, conserver et prendre soin de la vie future ? Comment celle-ci peut-elle être partagée par tous, et comment peut-on la rendre durable ? »

La présidente du comité scientifique du prix Holberg, Mme Heike Krieger, affirme que le professeur Achille Mbembe est un lauréat très digne, soulignant qu’il met au centre de sa pensée une conception universaliste de l’être humain. « Pour lui, déclare Mme Krieger, cela implique une obligation de reconnaître des vérités historiques, en même temps que notre apprentissage et notre mémoire dépassent la dichotomie du Sud et du Nord.»