Le prix Holberg décerné à Gayatri Chakravorty Spivak, théoricienne de la littérature et activiste indienne

Ce 13 mars a été annoncé l'attribution du prix Holberg 2025 à la professeure indienne Gayatri Chakravorty Spivak, pour ses contributions pionnières à la théorie littéraire et à la philosophie.

Institué par le parlement norvégien en 2003, le prix Holberg est un prix de recherche international d’un montant de NOK 6 000 000 (environ EUR 515 000) remis chaque année à un chercheur éminent en lettres et sciences humaines, en sciences sociales, en sciences juridiques ou en théologie. Le lauréat doit avoir influé de façon déterminante sur les recherches internationales dans un des domaines mentionnés. Gayatri Chakravorty Spivak recevra le prix lors d’une cérémonie dans l’aula de l’Université de Bergen le 5 juin.


Spivak est professeure des humanités à l’Université Columbia à New York et considérée comme une des intellectuelles globales les plus influentes de notre temps. En tant que théoricienne de la littérature, critique féministe et penseuse postcoloniale, elle exerce, depuis les années 1970, un impact notable sur les humanités et les sciences sociales.

 

Championne des voix marginalisées

Les recherches de Spivak ont éclairci l’influence primordiale qu’ont eue le colonialisme et l’impérialisme sur l’histoire mondiale, et encore sur des sociétés actuelles. Ses travaux portent principalement sur les soi-disant subalternes, c’est-à-dire des groupes marginalisés ou opprimés, exclus des structures dominantes du pouvoir et dont les voix sont couramment silenciées ou ignorées. En particulier, Spivak s’intéresse à la situation des femmes marginalisées.


Une de ses publications les plus connues en théorie postcoloniale est l’essai «Can the Subaltern Speak?» (1988) (trad. fr. de Jérôme Vidal : « Les subalternes peuvent-elles parler ? », 2009). En analysant l’exclusion des femmes de la production des savoirs dans l’Inde coloniale, Spivak explore comment les groupes marginaux sont de manière générale réduits au silence. Ce faisant, elle défie les idées existantes sur la représentation et la participation.


Outre son travail universitaire, Gayatri Chakravorty Spivak est connue comme une intellectuelle publique et activiste. Depuis 40 ans, elle oeuvre en faveur d’une éducation démocratique pour les groupes marginalisés dans plusieurs pays, en premier lieu en assurant l’enseignement primaire parmi les Dalits, les “intouchables”, et les communautés tribales les plus pauvres de l’Inde. Spivak a également oeuvré pour vaincre la pauvreté dans plusieurs pays africains à travers différents projets de développement, entre autres en vue de l’intégration des langues et cultures locales dans l’enseignement et en vue du renforcement des droits des femmes.

 

Un défi aux suppositions cachées

Spivak a aussi été une pionnière en théorie féministe, et sa critique du féminisme occidental a été cruciale pour comprendre l’interaction entre sexe, classe sociale et race dans divers contextes. Ayant traduit l’oeuvre de Jacques Derrida intitulée De la grammatologie (1967), à laquelle elle a rédigé une introduction essentielle (1976), elle a donné à un public plus vaste l’accès à la déconstruction comme méthode critique, méthode qui consiste à analyser des textes et des idées en démontant et en examinant d’un regard critique leurs suppositions sous-jacentes formant notre compréhension.


Spivak a publié neuf livres et en a traduit nombre d’autres. Ses travaux ont paru en plus de 20 langues.


Dans Death of a Discipline (2003) (La Mort d’une discipline), elle met en cause les frontières traditionnelles de la littérature comparée, en plaidant pour une approche mettant l’accent sur la justice sociale. Elle se sert du concept de ‘planitarity’ (« planitarité ») plutôt que de celui de ‘globalisation’, et propose une approche du monde accentuant les différences de nos conditions de vie, tout en soulignant qu’elles sont fondamentalement communes.


D’autres ouvrages centraux de Spivak sont: In Other Worlds (1987) (Dans d’autres mondes); A Critique of Postcolonial Reason: Towards a History of the Vanishing Present (1999) (Critique de la raison postcoloniale : Vers une histoire du présent en voie de disparition); Outside In the Teaching Machine (1993) (Dehors dans la machine à enseigner); An Aesthetic Education in the Era of Globalization (2012) (Une éducation esthétique à l’ère de la globalisation) et Ethics and Politics in Tagore, Coetzee and Certain Scenes of Teaching (2018) (Éthique et politique chez Tagore, Coetzee et certaines scènes d’enseignement).

 

L’art d’apprendre

Spivak met en avant l’importance des humanités comme domaine d’études, en soulignant que les lettres et sciences humaines, loin de se contenter de produire des savoirs, nous enseignent plutôt l’art d’apprendre.


«L’emploi de savoirs comme une capacité intellectuelle seule ne nous mène pas vers une société démocratique et juste, à moins que nous n’ayons pas aussi appris l’art d’apprendre», dit-elle. «Il faut apprendre que ce que l’on étudie ne se réduit pas à un objet de savoir, mais implique également ce que c’est qu’un sujet apprenant.»


La présidente du comité scientifique du prix Holberg, Heike Krieger, professeure allemande de droit international, affirme que Gayatri Chakravorty Spivak est une laurate très digne du prix. «Par ses analyses critiques du noyau central de la pensée occidentale, dit-elle, Spivak a stimulé, rendu possibles et soutenu des recherches qui, sans ses travaux, auraient été impensables.»

 

Sur le prix Holberg

Institué par le parlement norvégien en 2003, le prix Holberg est un des plus grands prix de recherche internationaux remis annuellement pour des contributions remarquables à la recherche en lettres et sciences humaines, en sciences sociales, en sciences juridiques ou en théologie. Le prix a été créé par le gouvernement norvégien par une transmission directe du ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur à l’Université de Bergen. Parmi les anciens lauréats figurent Jürgen Habermas, Manuel Castells, Onora O’Neill, Cass Sunstein, Paul Gilroy, Sheila Jasanoff, and Achille Mbembe.

Tout membre scientifique d’une université, d’une académie ou d’une autre institution de recherche peut proposer des candidats pour le prix Holberg. La date limite pour proposer une candidature est le 15 juin de chaque année. Pour d’autres informations concernant le prix, voir https://holbergprize.org/. Pour photos de presse, biographies des lauréats, citations des comités scientifiques et d’autres informations, voir : https://holbergprize.org/about-us/pressroom/